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                 KDirect.info - Aɣmis n Taqvaylit

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⚫ 19 ans après l'assassinat de Lounès Matoub, les assassins courent toujours. KDirect.info

Publié par La Rédaction sur 24 Juin 2017, 20:13pm

Catégories : #Actualité, #Kabylie, #Justice, #Enquete

 21 juin 1998, attablé avec Matoub dans un bistro près de Tizi, Fodil, l'ami de toujours, reste perplexe. «Je ne l'avais jamais vu comme ça. Lui qui ne craignait jamais rien, il avait peur. Il se sentait suivi, parlait comme en langage codé, avec des phrases du genre: "Je me suis rendu compte de beaucoup de choses"»... Fodil poursuit: «Je lui ai dit: quitte le pays.» Matoub s'obstine. Un problème privé le retient aussi. Il vient de se marier. Nadia a 20 ans. «Je venais d'avoir mon bac, raconte-t-elle. Je suis allée demander un autographe à Matoub.» «Il en est tombé amoureux fou. Il se sont mariés six mois plus tard», reprend Mohamed.

Le chanteur veut faire connaître Paris à sa jeune femme. Dès décembre 1997, pour lui obtenir un visa, il se tourne vers ses copains du RCD, notamment Saïd Sadi et Norredine Aït-Hamouda. En Kabylie, c'est quelqu'un. Fils du colonel Amirouche, héros de la guerre d'indépendance, ce député dirige aussi l'une des plus grosses équipes de «patriotes», ces milices de civils armés par les autorités. Alors qu'il faut quarante-huit heures à une personnalité politique pour obtenir un visa de court séjour, les intermédiaires ne semblent guère pressés. «Lounès pensait qu'on le faisait lanterner exprès. Il en était obsédé», raconte Malika, la sœur. De son côté, Nadia renchérit: «Ils avaient mon passeport... Cette histoire nous bloquait. J'avais l'impression d'être prisonnière. Matoub appelait presque tous les jours ses copains [du RCD] pour savoir où ça en était. Il raccrochait furieux: "Demain je vais leur faire un scandale et leur bousiller leur local." Et puis il se calmait.» Le couple s'enferme dans la peur. Et le visa n'est toujours pas là... «On n'arrêtait pas de parler de cela avec Lounès. Qu'est-ce que ça cache? Est-ce volontaire?»

25 juin 1998, embuscade près de Tizi Ouzou

Le 25 juin, Matoub veut faire plaisir aux deux sœurs de sa femme: on ira déjeuner au Concorde, le grand restaurant de Tizi Ouzou. A 10 h 30, la Mercedes noire et ses quatre passagers quittent Taourirt Moussa. Il n'y a que deux routes. Au hasard, la voiture prendra l'une à l'aller, l'autre au retour. A table, Matoub est dans un jour noir, nerveux. Tout le monde repart sitôt le repas avalé. Généralement, à cette heure-là, la circulation est plutôt chargée. Cette fois, la Mercedes ne croise qu'un ou deux tracteurs. «Quand on s'en est rendu compte, il était trop tard», se souvient Nadia, la jeune veuve. Dans un tournant, à 150 mètres du village de Talat Bounane, des coups de feu retentissent. Sur la carrosserie, on relèvera 78 impacts de balles. Matoub est touché de 7 balles, dont 2 mortelles.

La gendarmerie n'est qu'à 7 km (mais 2 km à peine à vol d'oiseau). Pourtant, les six officiers de Beni Douala arrivent largement après les faits. «En haut de la route et sous les arbres de la forêt, nous avons trouvé le repaire du groupe terroriste, aménagé pour stocker du fuel», notent-ils dans leur rapport. Les gendarmes constatent l'utilisation de voitures dans l'opération, mais aucun barrage n'est dressé. Ils ne cherchent pas à poursuivre les assassins, mais n'hésitent pas à les nommer dans leur PV: «Un groupe terroriste armé», expression habituelle désignant les islamistes. Le même jour, une radio française diffuse les propos de Norredine Aït-Hammouda: lui aussi met en cause les islamistes. En Kabylie, une foule en furie occupe les rues, assiège l'hôpital où se trouve le corps. Pour des dizaines de milliers de personnes, l'identité des assassins de Matoub-le-héros ne fait pas de doute. Ils crient: «Pouvoir assassin!» Les édifices publics sont attaqués. Saïd Sadi, président du RCD, veut prendre la parole, les huées l'en empêchent. Impuissant, il se tourne vers Malika Matoub, arrivée de France en catastrophe. Elle tire en l'air pour calmer les esprits. «Pour moi, à ce moment-là, il n'était pas question de remettre en question la version officielle.» La Kabylie vacille trois jours au bord de l'émeute. Puis se calme.

Les mystères d'une non-enquête

A Tala Bounane, lieu de l'embuscade, une poignée de villageois commence à parler. Ou plutôt à murmurer. Les mots coûtent cher en Algérie. Tous se souviennent que, trois jours avant les faits, ils avaient adressé une pétition aux autorités pour signaler «un groupe d'individus rôdant depuis plusieurs soirs vers 21 heures avec des kalash et des grenades». Ils avaient aussi remarqué des voitures visiblement en repérage et un groupe de trois civils armés menant des opérations au même endroit. Le matin même de l'assassinat, vers 11 heures, les gendarmes de Beni Douala ont fait le tour des habitations. Aux commerçants, ils demandent de fermer. A tous, ils ordonnent de ne pas sortir ou, mieux, de quitter le secteur, affirmant qu'il va y avoir des «opérations». Après le meurtre, dans la petite cache des agresseurs, les villageois trouvent tout un matériel de camping. Rien n'a été saisi. Sur l'autre voie menant à Taourirt Moussa, une embuscade avait aussi été tendue. Les deux routes étaient sous contrôle, un travail de professionnel: Matoub n'avait aucune chance. Les plus courageux des villageois décident d'aller témoigner à la Brigade. Ils ne sont pas reçus. Cinq jours après, les six gendarmes sont mutés. Et les trois hommes armés meurent dans un guet-apens.

Officiellement, on entend seulement le témoignage des trois femmes à bord. Embrouillés, sous le choc, leurs propos n'éclaircissent pas vraiment le déroulement de l'embuscade. Mais toutes trois ont une certitude, celle d'avoir distinctement entendu les tueurs lancer: «Allah o'Akbar», la «signature» des islamistes. Mais ce cri leur semble manquer de spontanéité. «Avant de s'enfuir, l'un d'eux s'est retourné et de loin, comme s'il avait oublié, il a crié "Allah o' Akbar"», précise aujourd'hui Farida, une sœur de Nadia. C'était comme un mot de passe, lancé pour qu'on le répète.» A l'hôpital où Nadia reste plus d'un mois, la police lui présente un procès-verbal de ses déclarations accusant les GIA. «Je n'ai jamais dit cela mais j'ai signé. J'avais peur, je me méfiais même des infirmiers.»

A Taourirt-Moussa, la Mercedes 310 noire n'est pas mise sous séquestre mais rendue à la famille. La police n'a pas pris la peine de ramasser les douilles, du 9 mm, du 7,62 et du 39, qui jonchent encore l'intérieur. Des morceaux de cerveau maculent le cuir du siège, côté conducteur. Malika Matoub s'interroge: les deux balles mortelles ont été tirées à bout touchant. Elle réclame des expertises mais se heurte à un mur. «C'est là que j'ai commencé à douter.»

Ses avocats approchent les magistrats de Tizi Ouzou en charge du dossier, pour déposer une constitution de partie civile. Les juges les évitent. Mille chicaneries de procédure se dressent. Parallèlement, un émissaire du pouvoir prend contact avec Malika pour lui proposer «réparation». Une indemnisation au titre des «victimes du terrorisme» lui sera accordée dans les plus brefs délais si elle en fait la demande. Une sorte de marché tacite: à elle l'argent, aux autres le classement d'une histoire trop dérangeante. Malika refuse.

En octobre 1998, quatre mois après le meurtre, Nadia et ses deux sœurs sont entendues par le juge d'instruction pour la seule et unique fois. Ouarda affirme être sûre de pouvoir reconnaître au moins deux des assassins  «Le juge a fait comme si elle n'avait rien dit», se souvient Nadia. 

 

Extrait de Libération 

Photos prises par les gendarmes algériens, une fois sur les lieux du crime

Photos prises par les gendarmes algériens, une fois sur les lieux du crime

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